Comment écrire à l'ère de l'IA
Un guide pratique pour ne pas rédiger comme ChatGPT, sans s'en interdire l'usage
Vous aimeriez mieux repérer les textes écrits par IA ? Vous écrivez à l’aide de l’IA, mais vous ne voulez pas que ça se sache ? Ou pire : vous écrivez sans IA, mais vos lecteurs pensent qu’il s’agit d’IA ? Ce guide est pour vous.
Repérer les textes écrits par ChatGPT
Je vous préviens tout de suite : il y a des textes écrits par IA qui sont impossibles à reconnaître comme tels. Je ne parle pas des moyens techniques de reconnaissance des contenus générés par IA, qui sont encore balbutiants (sauf quand ChatGPT semble parfois imprimer des caractères invisibles dans ses textes), mais bien de style. Est-il frappant à vos yeux que le texte suivant soit écrit par IA ?
Enfin, elle parut. Vêtue de noir selon la coutume espagnole, le visage à demi voilé par une mantille de dentelle, elle s'avança d'un pas mesuré, suivie d'une duègne au maintien sévère. Le général sentit ses jambes fléchir. Cette démarche noble, cette grâce naturelle qui se devinait sous l'austérité du costume, ce port de tête altier et doux à la fois, tout en elle confirmait l'impression première qui l'avait foudroyé. Elle s'agenouilla non loin de lui, et il put contempler à loisir ce profil d'une pureté antique que la pénombre de l'église rendait plus mystérieux encore.
C’est Claude 4. Les modèles d’Anthropic sont en général plus humains dans leur écriture que ceux d’OpenAI ou de Google. Premier conseil si vous utilisez de l’IA pour écrire : essayez Claude. Mais ne nous arrêtons pas là.
Car la plupart des textes écrits rapidement sur ChatGPT, surtout avec sa version par défaut 4o, sont tout à fait repérables. Prenons le texte suivant :
À l’ère de l’IA, écrire n’est plus un acte de production brute. Ce n’est pas taper du texte, générer du contenu, remplir des cases. Ça, une machine le fait déjà. Mieux que vous. Plus vite, plus long, plus poli, plus fluide, plus « SEO ». Ce que l’IA ne peut pas faire, c’est penser à votre place. Elle peut mimer un style, proposer une idée moyenne, combiner ce qui a déjà été dit. Elle ne peut pas décider ce qui vaut la peine d’être dit. Alors écrire aujourd’hui, c’est d’abord choisir son angle avec précision. Ne pas bavarder, mais viser. Prendre une position. Avoir une voix. Ce n’est pas l’originalité qui compte, c’est la netteté. L’époque est saturée de discours — il faut que le vôtre tranche.
Je ne sais pas si c’est le style en lui-même qui est énervant, ou si c’est la répétition permanente des mêmes cadences et du même ton qui a fini par le devenir pour moi, mais ce genre de textes donne mal au cœur. En voici les caractéristiques principales :
Les oppositions du type “Ce n’est pas X. C’est Y.”, et ses variantes (C’est X, ce n’est pas Y. Ne pas X, mais Y, etc.). ChatGPT en use et en abuse. C’est dommage, car c’est une vieille figure de style : “Donc di je bien que ce n’est mie amours, ains est rage de teste” (ce n’est pas de l’amour, mais c’est de la démence), lit-on dans le Tristan en prose au XIIIe siècle. Mais à la voir trop souvent, on finit par être agacé, parce qu’elle est souvent superflue.
Les phrases très courtes, censées être coup de poing. Là aussi, c’est une bonne chose en modération, mais ChatGPT s’en sert à tout bout de champ. Cela donne au texte une coloration de marketing américain, et empêche de varier le rythme et l’intérêt des phrases.
Les tirets cadratins (—). Ils ne sont pas fautifs, ils sont même plutôt littéraires, mais sont malheureusement devenus un signe distinctif de l’écriture de ChatGPT, en anglais (où ils sont ordinairement plus courants) comme en français.
Prenons un autre exemple, narratif cette fois, pour identifier d’autres signes.
Maxime, un écrivain en quête d'inspiration, se retrouva un soir face à son écran, le curseur clignotant sur une page blanche. Frustré par le silence de son esprit, il ouvrit ChatGPT, curieux de voir ce qu'une intelligence artificielle pourrait lui offrir. Après avoir tapé une simple invite – "Une idée de début pour un roman fantastique" –, l'algorithme lui répondit avec une histoire captivante d'une cité flottante cachée dans les nuages. Étonné, Maxime développa l'idée, ajoutant ses propres touches et personnages. Au fil des échanges, il réalisa que ChatGPT n'était pas une rivale, mais un complice discret, un souffleur d'idées. Ce roman, co-né de la machine et de l'homme, marqua un tournant inattendu dans sa carrière et redéfinissait la frontière entre créativité humaine et artificielle.
On voit ici des caractéristiques supplémentaires du style ChatGPT.
Les participes présents. Ce sont probablement des anglicismes, puisque les textes anglais sur lesquels est majoritairement entraîné ChatGPT utilisent plus souvent le participe présent que les textes français. Rappelons d’ailleurs qu’en français, contrairement à l’anglais, les propositions participiales absolues ont d’ordinaire un sens causal et non chronologique. “Il se retrouva un soir face à son écran, le curseur clignotant sur une page blanche” devrait impliquer qu’il se retrouve devant son écran à cause du clignotement du curseur, ce qui n’est évidemment pas le sens voulu. Même remarque pour “ajoutant ses propres touches et personnages.”
L’omniprésence des adjectifs, en particulier des adjectifs mielleux. Je n’ai pas d’autre qualificatif pour des termes comme “fascinant” ou “passionnant”, que ChatGPT aime à l’excès, et qui n’apportent rien. Plus généralement, il utilise trop d’adjectifs inutiles : “une histoire captivante d’une cité flottante”. Stendhal disait qu’à dix-sept ans, il voulait se battre en duel avec les dragons de son régiment qui faisaient l’éloge de l’expression “la cime indéterminée des montagnes” de Chateaubriand. Il avait raison.
La structure début-milieu-fin. Je sais qu’Aristote, en poétique, “appelle entier ce qui a un commencement, un milieu et une fin.” Mais d’une part, cela ne vaut pas pour les textes écrits avec ChatGPT et qui, précisément, n’ont pas vocation à être entiers, comme un ou deux paragraphes insérés au sein d’un texte plus long. D’autre part, même les textes entiers sont insérés par ChatGPT dans un cadre trop épais. Dans le petit paragraphe précédent, la dernière phrase sert à la fois de conclusion et d’ouverture, comme si c’était la fin d’une dissertation : “Ce roman, co-né de la machine et de l'homme, marqua un tournant inattendu dans sa carrière et redéfinissait la frontière entre créativité humaine et artificielle.” Pour un texte aussi court, c’est inutile et un peu ridicule. En fait, les LLM ont beaucoup de mal à écrire des textes commençant in medias res et se terminant abruptement, comme s’ils avaient été coupés. Ils sont trop entraînés à écrire avec un début et une fin. C’est pourquoi beaucoup de textes écrits avec IA se terminent par d’atroces “En conclusion” ou “En définitive”.
Toutes ces marques du chatgptisme sont plus ou moins prononcées selon les modèles. GPT-4o est particulièrement adepte du “Ce n’est pas… C’est…”. GPT-4 était plus amoureux du participe présent. Le modèle o3, lui, adore faire des tableaux. Tout cela se repère par la pratique et l’habitude.
Ecrire sans ressembler à ChatGPT
Maintenant que nous savons à quoi ressemble un texte standard de ChatGPT, il suffit de faire l’inverse pour obtenir un texte qui ne lui ressemble pas. L’avantage, c’est que les mêmes conseils servent tout simplement à bien écrire, indépendamment des questions d’IA. Ne pas utiliser d’adjectifs inutiles, varier la longueur et le rythme des phrases, ne pas recourir au vocabulaire vague, ne pas trop souligner les introductions et conclusions, ne pas utiliser à mauvais escient les participes présents, ne pas utiliser les figures de style comme des procédés récurrents.
Cela revient, c’est la grande règle, la seule règle qui me paraît valable pour écrire, à dire seulement ce qui est vrai et nécessaire. Stendhal : “Je ne vois qu'une règle : être clair. Si je ne suis pas clair, tout mon monde est anéanti.” Il disait lire le code civil pour son inspiration (il serait déçu de la légistique du code civil actuel). Le principal problème des textes de ChatGPT cités plus haut, c’est qu’ils n’ont rien à dire. Je ne le reproche pas à ChatGPT, puisque c’est moi qui leur avait donné des consignes sans idées comme “Ecris un texte expliquant comment il faut écrire à l'ère de l'IA”. Pour bien écrire, il faut avoir quelque chose à dire ou à raconter. Le style n’est que la meilleure manière de le faire et n’a pas d’existence en soi. Si l’on reprend les phrases qui concluaient le premier exemple (“Prendre une position. Avoir une voix. Ce n’est pas l’originalité qui compte, c’est la netteté. L’époque est saturée de discours — il faut que le vôtre tranche.), on s’aperçoit qu’elles ne veulent rien dire, et même qu’elles sont contradictoires : si ce n’est pas l’originalité qui compte, pourquoi faudrait-il que notre discours tranche ?
Qu’on n’aille pas croire que je cherche par là à minimiser les capacités des grands modèles de langage. Ce sont de formidables machines et, avec les bons modèles et les bons prompts, ils peuvent produire des choses intéressantes. Je me souviens que lors de mes premiers tests avec GPT-3, à l’été 2022, le simple prompt “Un extrait d'un roman inédit de Balzac” avait produit le résultat suivant :
Je vous ai dit, mon ami, que j'avais quitté la France pour toujours. J'ai quitté ce pays maudit, ce pays qui a tué ma femme et mon enfant. Je ne reviendrai jamais, je ne veux plus jamais revoir ce pays. C'est pourquoi je suis venu ici, en Italie. C'est ici que je veux vivre et mourir. Mais avant de mourir, il y a une chose que je dois faire. Une chose que je dois accomplir, pour le bien de ma famille. Cette chose, je ne peux la faire seul. J'ai besoin de votre aide, mon ami. J'ai besoin que vous m'aidiez à tuer le duc de Berry.
Ce n’est quand même pas mal, et donne presque envie de connaître la suite. GPT-3 n’avait pas les mêmes défauts que GPT-4o. Il n’était pas entraîné pour être un assistant conversationnel. Il n’était pas autant contraint par le RLHF (Reinforcement Learning from Human Feedback) qui vise à apprendre aux modèles de langage, après leur entraînement initial, à répondre correctement et poliment aux questions qu’on leur pose, ce qui peut avoir l’effet de restreindre leurs pures capacités stylistiques (entre autres causes de ce phénomène). On peut néanmoins retrouver des qualités stylistiques grâce à des modèles personnalisés à dessein, des fine-tunes, ou à des modèles intégralement entraînés dans ce but, mais cela demande évidemment un effort supplémentaire.
Utiliser l’IA comme secrétaire
Stendhal, toujours, a dicté La Chartreuse de Parme en une quarantaine de jours à un secrétaire, en improvisant tout du long. J’ai toujours rêvé de faire pareil et sans pouvoir me vanter d’avoir écrit la Chartreuse, j’ai du moins désormais un moyen de dicter ce que je veux. Les modèles de transcription audio (speech to text) sont devenus bien, bien meilleurs qu’il y a quelques années encore, et permettent de retranscrire quasi parfaitement tout enregistrement vocal, même de faible qualité. Il n’y a plus besoin d’articuler parfaitement, de répéter sans cesse de mots en attendant que le programme comprenne ; on peut s’enregistrer parler pendant trois minutes, et en quelques secondes, la transcription écrite est faite, comme par un secrétaire. Non seulement c’est très agréable, mais cela permet de penser différemment. Avez-vous remarqué à quel point vos idées diffèrent quand vous êtes assis et quand vous marchez, ou quand vous êtes seul à votre bureau et quand vous êtes dans une conversation ? Dicter un texte ne lui donne ni le même fond, ni la même forme que l’écrire, de même que l’écrire à la main ne donne pas le même résultat que l’écrire à l’ordinateur. Telle méthode n’est pas supérieure à une autre, mais il est bon de pouvoir varier. J’écris désormais une partie de mes textes en les dictant dans la rue. Je conseille des claviers pour téléphone intégrant le modèle d’OpenAI Whisper, ou simplement de s’enregistrer et de passer ensuite les fichiers audio dans une application utilisant Whisper ou sur le bon modèle de transcription d’ElevenLabs.
L’autre intérêt d’avoir un secrétaire fait d’IA, c’est de s’en servir comme d’un Dr Watson. J’ai souvent comparé le travail avec des LLM à la pratique de Sherlock Holmes. Pour l’instant, nous sommes plutôt plus intelligents qu’eux, du moins plus créatifs (ce n’est peut-être pas le cas de tout le monde, mais si vous lisez ce texte, supposons que vous l’êtes, pour votre amour-propre comme le mien). Sherlock est plus intelligent et créatif que le Dr Watson, mais il a besoin du Dr Watson pour développer sa réflexion. Watson clarifie ce qu’imagine Sherlock, lui demande de démontrer ses intuitions, d’expliciter son raisonnement, parfois lui sert de mur sur lequel faire rebondir ses idées. Un LLM peut nous servir exactement de la même façon, par exemple en clarifiant des idées que nous aurions notées en vrac, en les critiquant, en simulant ce qu’en penserait l’expert moyen, en proposant d’autres idées à explorer. Tout ne sera pas bon, mais ce sera utile pour stimuler l’imagination.
Une bonne manière de travailler est donc par exemple de commencer par se promener en réfléchissant, de prendre des notes à l’oral, de les transcrire par IA, de demander à GPT ou Claude de les critiquer, d’imaginer d’autres idées dans la même veine, de proposer des contre-arguments, ou de les mettre dans l’ordre. Ensuite, on peut écrire en reprenant tout cela à la main, avant de faire relire par le LLM une dernière fois. Tout cela changera peut-être d’ici deux ou trois ans. Mais aujourd’hui, c’est une manière convenable de se servir de l’IA pour écrire.
Un article dans l'air du temps, on peut aimer l'opéra, l'antiquité et aussi savoir utiliser les LLM pour partager ses passions sans que cela ne nuise à son aura.
J’ai bien aimé ton billet. Merci